Une première percée en Bulgarie

                                            


8 mai 2023

Jour 32

101 km - 520 D+

On m’avait prévenu. Il fallait s’attendre à de fortes averses aujourd’hui. 

La pluie, je n’y crois jamais avant de me la ramasser. Ce matin, Bojan m’avait conseillé de prendre la tangente et de zapper un nouveau méandre du Danube pour rejoindre directement Vidin, première ville d’ampleur en Bulgarie. Le poste frontière est de toute façon à Bregovo loin des rives. La pluie et le vent m’attendent au tournant. J’ai mis ma couche chaude de cycliste mais pas ma veste. Je me dis que ça va passer. Au poste frontière, je passe sur la ligne de désinfection des camions. Je me faufile et m’insère juste derrière la dernière voiture occupée à donner les papiers à la douane. Je suis abrité par le toit de la douane. Ca klaxonne. Soit. Me voilà en Bulgarie. Je suis directement accueilli par des chiens errants qui guettent la frontière. Le ciel est encore gris. La drache ne s'arrêtera pas comme ça. Une grosse côte, une route assez passante et surtout une pluie battante. Je sens mes forces faiblir. Le mal de gorge s’est installé et s’est transformé en toux grasse. Je décompte les kilomètres avant d’arriver à Vidin. Rien n’invite à la pause d’ici là. Je ne me raccroche à l’idée d’un chocolat chaud et j'aspire à essorer mon sweat qui a ramassé des litres de pluie. 



A Vidin, j’enjambe un grand pont et suis surpris de croiser pour la première fois de mon périple des charrettes tirées par des chevaux sur les axes principaux d'accès à la ville. Des panneaux indiquaient un château au bord du Danube méritant le détour, la forteresse Baba Vida, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’alors. Je fais le crochet de peur de louper quelque chose. Un mur d’enceinte se distingue dans un amas de buildings de l’époque communiste. Le château est sympathique mais sans plus. La ville n’est pas mise en valeur sous ce ciel gris. Je me pose finalement dans un restaurant dans le parc en bord de fleuve où j’essaie tant bien que mal de sécher mes affaires comme je peux, en sirotant une soupe de poisson et le chocolat chaud tant attendu. Je fais des allers-retours entre ma table et les toilettes pour mettre du papier dans mes chaussures pour absorber l'humidité. 




Il est 15h30. Voyant que la pluie baisse finalement d’intensité, je me force à pousser encore 50 km jusqu’à Lom. Je ne sais pas pourquoi je n’avais rien mis de mes protection pluie en entamant la journée. Je voulais croire que la pluie ne tomberait pas. Et une fois qu’elle a commencé à tomber, j’ai pensé que c’était trop tard et que, mouillé pour mouillé, il valait mieux continuer que de s’arrêter et de prendre froid. Mais maintenant je mets toutes les chances de mon côté et j’enfile le pantalon pluie et les protège chaussures. Dire que je comptais les poster après la Slovénie ou la Croatie. Il ne faut jamais jurer de rien dans ce genre de voyage. Des chiens errants m’accueillent une nouvelle fois à la sortie de la ville. C’est intéressant de voir que des anciens énormes bâtiments sont encore gardés par des chiens après que les hommes les ont désertés. Les chiens sont décidément des animaux fidèles. Les camions me frôlent sur ces routes. Je zoome en permanence sur Komoot pour essayer de voir quand la route tourne à angle droit sur le plan, en espérant que celle que je suis cédera le flambeau à une plus petite route. Mon vœu ne sera exaucé qu’en toute fin de journée. Ma route me fait passer par des villages où des écoles ont les vitres cassées, où on l’on ne trouve aucun magasin de proximité et où la moitié des maisons sont laissées à l’abandon. Certains rares habitants semblent s’accrocher (par choix ou par manque de moyens ?) alors que tout semble dépérir autour d’eux. Un sentiment de tristesse m’habite. J’apprendrai plus tard que cette région est une des plus pauvres de Bulgarie, pays qui est lui-même le plus pauvre de l’Union européenne. Beaucoup de drapeaux bulgares néanmoins. La pluie, au moins, s’est finalement arrêtée de tomber. Je trouve finalement un banc sous une coupole en bord de route où je mange les pâtes sauce tomates cuites le matin que j’avais conservées jusque-là. 

Je ne compte plus les escargots sur le bord de la route. Je me dis que leur espérance de vie doit être limitée au moment où leur instinct les porte immanquablement à traverser la route à leur rythme de sénateur. Une trentaine de kilomètres avant d’atteindre Lom, autre ville sur le Danube, mon vélo décide de ne plus passer le grand plateau. Je rêve de trouver un réparateur de vélo mais Google Maps refuse de prolonger le rêve. Lom, que je pensais être une charmante petite ville de villégiature au bord de l’eau, n’est pas plus riante que Vidin. Peut-être un peu plus tranquille. Beaucoup de night clubs déserts et de salles de paris. Je me rabats sur l’hôtel du Parc dont m’avait parlé Sarah, la Britannique croisée en Serbie. Mes premiers contacts locaux me laissent penser que la communication en anglais sera plutôt l’exception. Ni la réceptionniste ni celui qui se comporte comme le patron ne parlent un mot d’anglais. « Ruski » me répond-on. Ils me regardent avec un air presque dédaigneux quand je tente de nouer contact en anglais. Notamment quand je leur montre mon vélo pour tenter de leur expliquer que je recherche un réparateur. Rien de personnel. Je me dis que l’Histoire a dû faire que pour certains les gens qui parlent l’anglais doit incarner quelque chose de négatif qui m’échappe. Peut-être ai-je simplement la chance de voyager dans une région où beaucoup n'ont pas cette chance ? Cet épisode me rappelle vaguement un autre, lors d’un séjour aux Etats-Unis lorsque, marchant simplement le long d’une rue, et cette fois parfaitement silencieux, je m’étais fait accoster par les occupants d’une voiture et insulté en raison de ma couleur de peau par des « gringos » et autres noms d’oiseaux dont je me rappelle plus aujourd’hui. Rien de personnel. Peut-être. Mais le sentiment qui en ressort est quand même désagréable. Le sentiment de solitude est finalement plus grand que si on passe son chemin sans rien dire.  

Je regarde des tutos sur Internet et tente de régler le problème de mon vélo mais je suis fatigué, une journée à plus de 100 km dans les jambes dans des conditions difficiles, je n’ai pas de pied pour suspendre le vélo et j’ai peur de mal faire et de me retrouver sans plateau du tout pour avancer sans solution B… J’essaierai de trouver une solution sur mon chemin. Les options réparations pourraient devoir me faire passer par la Roumanie. Craiova semble être la ville de taille raisonnable la plus proche où je pourrais faire réparer. Avant d’aller dormir, je me mets en contact avec Dragomir, mon ami bulgare de la Cour, pour savoir si par hasard il n’aurait pas connaissance de quelque réparateur sur le chemin envisagé. Il m’indique avoir repéré un réparateur à Kozloduy, une cinquantaine de km plus loin sur mon chemin. Celui-là n’avait pas dû mettre sa description en caractères latins sur Google et avait échappé à ma vigilance. Merci Drago. 

Le soir, après la lessive et le séchage, je me dis que j’ai mérité d’aller manger dehors. Je repère un restaurant sur la rue principale qui remonte du Danube vers ce qui doit être le centre. Pas un chat dans cette ville. A l’intérieur, une vraie ambiance de village, sous un tapis de fumée. Un homme d’une autre table s’adresse à moi. Il semble m’avoir confondu… avec un homme d’affaires. La tenancière est serviable. Elle me propose une grande bière Kamenitsa. Je commande une pizza et un plat de pâtes carbonara. Je ne m’éternise pas dans cette ambiance enfumée. 



9 mai 2023

Jour 33

83 km - 480 D+

Le lendemain, je dois vraiment chercher au fond de moi l’énergie pour redémarrer. Je regarde sur la carte, ce que j’ai déjà accompli. Souvent le focus est mis sur ce qu’il reste à faire et trop peu sur ce qui a déjà été fait. Se poser un instant et regarder un peu en arrière peut alors être bénéfique. J’ai grosso modo les 2/3 de la distance derrière moi. 

                                        

Malgré un départ un peu tardif, je vais essayer d’arriver aux heures d’ouverture du magasin de vélo. Je dois aussi essayer d’attraper le ferry vers la Roumanie et de continuer à évoluer du côté gauche du Danube. C’est fun de traverser des frontières, sur la terre ferme, sur des ponts, mais aussi en prenant le ferry. Et puis je serai du bon côté pour remonter ensuite jusque Bucarest. Et puis je reviendrai en Bulgarie de toute façon plus tard via Roussé avant de rejoindre la Mer Noire et de descendre vers Istanbul.  

Encore un peu de pluie aujourd’hui. Cette fois-ci je m’arrête directement dès les premières gouttes pour m’équiper comme il se doit. Je fais ça dans un abribus recouvert en entier d’avis nécrologique qui se superposent depuis pas mal d'années. C’est un peu glauque. A la ville de Kozloduy, je trouve porte close alors que je devais être à l’adresse du réparateur de vélo. Google Maps était formel. J'étais au bon endroit. Je me dis que le magasin a dû fermer. Après avoir échangé avec des jeunes filles qui tenaient une épicerie à côté, ces dernières m’invitent à attendre. Finalement le magasin est de l’autre côté. Il est fait de bric et de broc. Pas un pied d’atelier pour réparer. Je tiens le vélo avec le patron. Personne ne parle anglais. Je suis en contact avec Drago en back up au cas où il faudrait traduire. En 10 minutes et pour 10 lev, le vélo repasse le grand plateau. Alléluia. Il est 15h30. Petites courses et pique-nique. 


                                                


Il me reste une bonne quarantaine de km avant l’embarcadère pour le ferry. Je pousse sur les pédales. Je passe une imposante centrale nucléaire sur ma gauche. Photos interdites. L'Union européenne posera comme condition de fermer certains vieux réacteurs avant d'admettre la Bulgarie. Je passe quelques ponts sympathiques. Style années '30. Je croise encore quelques charrettes et j'arrive à hauteur de l'embarcadère d'Oreahovo peu avant l'heure limite. 








Je dépasse l’énorme file de poids-lourds, paie mon ticket (2 lev soit 1 euro !) et passe le poste frontière. Le douanier m’informe que des négociations sont en cours pour faire entrer la Bulgarie et la Roumanie dans Schengen mais que jusqu’alors il me faudra montrer deux fois ma carte d’identité. Un balai de camions défile. Puis les quelques voitures. Le vélo entre en dernier. Comme un Tetris géant. Je dois pas être le plus rentable du bateau. Je suis calé totalement sur le bord. Pas trop se pencher. La frontière roumaine s’annonce sur la rive par une usine. Monté le dernier, je suis ressorti le premier du ferry. Je suis tout seul avec mon vélo à la douane roumaine. Sur ma question, on m’indique avec un grand sourire que bonjour se dit : « Salut » ([saloute]) comme dans la chanson d’Ozone, "Dragostea Din Tei" (chantée par un groupe moldave mais en roumain). Vous savez "Noumanoumayé". Cela me sera bien utile pour la suite. Beaucoup de "Salut" en Roumanie ! A peine ai-je atteint le traditionnel panneau routier pour faire une photo de mon vélo « en contexte » qu’une meute de chiens errants me rappelle elle-aussi que je suis bien en Roumanie. J’ai déjà un peu d’expérience en la matière mais je me dis que je n’ai peut-être encore rien vu. On m’avait parlé depuis longtemps de ces chiens roumains. 3 km d’une route en ligne droite jusque Bechet. Pas trop de trafic et plus de chiens (pour aujourd'hui). Petites courses au magasin du village. Je retrouve des repères. Rien que l’écriture latine change tout. L’hôtel est un peu anonyme en bord de route mais confortable et équipée d’une télévision. Ce soir, je regarde la demi-finale retour de la Champion's League entre Manchester City et le Real Madrid en me cuisant des pâtes au Buta dans la chambre. Demain, je verrai vraiment ce que la Roumanie a à offrir. C'est ma première fois dans ce pays. 









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