Les Portes de Fer, le Danube au creux de son lit entre Serbie et Roumanie, une des étapes reines du voyage




Ce matin, le soleil est revenu. Je me sens vraiment exténué. Je dois couver quelque chose. Quelques jours que je multiplie les efforts, sans repos de qualité. J’ai dû prendre froid et attraper quelque chose dans un dortoir à Novi Sad ou Belgrade. Déjà hier soir, je sentais que je manquais d’énergie. J’avais prévu le coup. Je m’étais acheté un pamplemousse pour faire le plein de vitamines C. J’essaie de me mettre en contact avec Andre, le cycliste italien, que je n’avais plus vu depuis plus d’une dizaine de jours depuis Zagreb, mais pas de réponse. Il m’avait dit partir vers 10h. J’ai mis plus de temps à décoller et vu le nombre de pauses que je m’octroie pour prendre des photos lors d’étapes spectaculaires comme celle-ci, peu de chances que je le rattrape. Lui va prendre le pont vers Drobeta-Turnu Severin avant de continuer vers Dobreta en Roumanie (son plan est de rouler vers la route Transfăgărăş au milieu de la Roumanie, ça a l’air très joli en photo avec tous ces cols mais apparaît c’est encore enneigé par là – j’ai déjà donné ! – et puis pas du tout sur mon chemin vers Istanbul, et après de continuer vers la Pologne et la Russie) alors que moi j’envisage de rester côté serbe. Mais cela me va bien de rouler seul aujourd'hui et de prendre mon rythme. 

 

Je sais qu’aujourd’hui l’étape sera l’une des étapes phares du voyage puisque je traverserai les Portes de Fer, l’endroit où le lit du Danube se resserre pour ne plus faire que quelques mètres entre la Roumanie et la Serbie. Ça promet d’être magnifique.  


                                            

 

Les galeries se succèdent. Je recharge les batteries de mes lampes clignotantes et je mets ma frontale en-dessous de mon casque. Juste à la sortie de la première galerie, la vue devient vraiment enchanteresse. La vue sur la rivière sur ma gauche est juste incroyable. On voit le fleuve qui s’engouffre entre les deux rives et la vue est dégagée et ouverte sur plusieurs kilomètres devant moi. Cela me rappelle vaguement les gorges de l’Ardèche ou du Verdon. Mais il s’agit bien du Danube. Comment le lit de ce fleuve si étendu quelques kilomètres en aval peut à ne plus faire que 150m par endroits ? La dame chez qui j’ai dormi m’avait parlé d’une croisière, mais honnêtement, à part la sensation d’être au milieu du cours d’eau, je pense que le spectacle à vélo est tout aussi majestueux. La route alterne entre une position de surplomb et le lit de la rivière.  

 

J’avais d’abord envisagé de pousser jusque Negotin, dernière ville-étape serbe avant de continuer soit vers la Bulgarie, où j’ai aussi envie de m’arrêter car plusieurs personnes m’ont parlé d’un relais pour cyclistes où règne une belle ambiance, mais la beauté annoncée de l’étape du jour m’a poussé à prendre mon temps et je me suis réservé un hôtel à Kladovo, en coupant l’étape en deux. J’ai vraiment bien fait de m’écouter. Ce jour-là je me suis arrêté quasiment tous les kilomètres pour prendre des photos.  



 

Au fur et à mesure que j’avance sur la route, la vue devient de plus en plus belle. Après un énième tunnel, avant lequel je me suis posé sur le contrefort d’une aire de repos pour pique-niquer avec une vue plongeante à 360 degrés, j’ai pu apercevoir côté roumain un petit monastère et puis, surgissant d’entre la végétation, la fameuse tête de Décébale, dernier roi des Daces, sculptée dans la roche sur 40 m de hauteur et 20 m de largeur. Même depuis l’autre côté de la rive, ce visage a quelque chose de terrifiant. La route commence alors à grimper sérieusement. Je m’arrête à quelques reprises dans la montée pour capturer les vues spectaculaires derrière moi. Je rencontre un cycliste italien qui fait un tour des Balkans en bike-packing. 












Au col, j’aperçois des panneaux qui indiquent le chemin descendant à la fameuse Table de Trajan, vestige romain au bord du lit du fleuve et qui remonte à l’expédition dudit Trajan menée jusqu’en Roumanie (100-101 après JC). Cet empereur avait fait construire une route venant de Belgrade et un pont à hauteur de Kladovo, dont il ne reste plus que quelques vestiges (je les verrai de la route, ainsi en auront décidé les chiens qui me surprirent sur mon passage à l’approche de Kladovo !). Cette Table est un symbole important pour la Roumanie car elle permet d’expliquer la latinité de la Roumanie. Cela n’a pas empêché qu’elle ait dû être découpée et remontée de plusieurs dizaines de mètres lorsque fut construit un énorme barrage hydro-électrique entre les deux rives quelques kilomètres en aval. Ce barrage sert aussi de pont-frontière reliant la Serbie à la Roumanie. Dans la descente, j’aperçois le trafic côté roumain (des files de camions) et, même si je roule sur une route assez passante, je me dis que ça doit être bien pire depuis l’autre rive. Avant d’arriver à Kladovo, l’itinéraire de l’Euro route me fait sortir de la route principale et passer par un petit village en bord du fleuve. Je repère un abri de pêche en bois aménagé avec un banc. Je vais pouvoir y suivre la première étape du Giro et le chrono de Remco Evenepoel, un des favoris, avec Roglic. Il ne restait plus que quelques minutes avant la fin du contre-la-montre et je peux remettre le cap sur Kladovo. Je m’arrête en chemin à la forteresse de la ville, rénovée avec des deniers européens. Belle porte et atmosphère détendue. 


                                            



                                         


                                        


J’arrive à l’hôtel. Un peu excentré. Mais calme et confortable. J’ai hâte de dormir une bonne nuit. Ce soir, aucune envie de sortir le Butagaz, j’ai envie de goûter des spécialités serbes. Je retourne dans le centre à pied. C’est fou la différence de temps que ça prend de faire 2km à pied par rapport au vélo. Je fais quelques courses au passage (citron, gingembre et yaourt pour le lendemain), je mets toutes les chances de mon côté pour me redonner du tonus. Un client tente de m’aider à trouver du gingembre et, apprenant que je suis francophone, est fier de m’annoncer qu’il est prof de français. Difficile cependant d’engager une conversation vraiment profonde au-delà de « Bonjour, comment ça va » J. Mais rencontre sympathique néanmoins. Au restaurant, je commande une soupe de poisson, un fromage grillé (on m’avait dit que c’était typique des montagnes de la région de Negotin), et puis de bonnes Ćevapčići (saucisses grillées sans boyau typiques). C’est très bon. Et ça change des pâtes sauce tomate au Buta. Une glace dans la rue en dessert.  






 

Le lendemain matin, j’hésite vraiment à repartir. J’ai bien dormi mais je sens que j’ai vraiment besoin de repos. J’ai mal à la gorge. Le nez qui coule. Je me sens chaud. Covid ou rhume. Quelque chose de cet ordre. Je peine vraiment à remballer tout mon barda avant le check-out. J’ai déjà annulé une fois ma nuit à Negotin pour couper l’étape de la veille en deux. Et j’hésite à dormir une nuit de plus ici. Mais il n’y a pas grand-chose à faire à Kledovo. Et puis l’étape est vraiment courte (60 km). Je finis par trouver la motivation pour plier bagage et repartir. Si je n’arrive pas trop tard à Negotin, je pourrai me reposer là-bas. De nouveau, il fait beau (et chaud). Je crois que c’est bien d’avancer. Le patron de l’auberge à Negotin, Bojan, m’a conseillé par message de suivre le gravel en bord de rivière après une trentaine de km. La route commence par monter raide à la sortie de Kledovo. Elle m’emmène sur des champs de colza qui s’étendent à perte de vue. J’avais hésité à continuer à suivre le Danube via un dernier méandre (sur la carte, les rives roumaine et serbe ont encore l’air proches l’une de l’autre) mais visiblement la plus belle partie, où l’on peut vraiment sentir la verticalité des gorges, je l’ai vue hier. Sarah aussi, la cycliste britannique, avait aussi zappé ce détour de l’Euro route. Je croise un voyageur à vélo en sens inverse. Sourires réciproques. Grands gestes de la main. Pas mal de serpents écrasés sur le bord de la route. Je rejoins le Danube au bout de la descente. Une église dans un village me rappelle l’architecture du monastère de Rila. Je sens que je me rapproche de la Bulgarie. Murs blancs peints à la chaux. Contours en rouge. Coupole octogonale et toit arrondi. Petite pause "gibanica" (feuilleté au fromage typique serbe en bord de fleuve). 


Dans la partie gravel qui longe le Danube et au-delà, au moins une quinzaine de serpents (dont pas mal de nouveau-nés) sont venus à ma rencontre sur la piste. Les premières chaleurs de la saison doivent marquer la période de nidification. Le calme des lieux (presque pas de trafic sur cette route), le fleuve d’un côté et la forêt de l’autre, la géographie doit être parfaite aussi pour les serpents. Je reste attentif. Vu leur état sur la route, certains serpents ont dû avoir été tués par les habitants. Dans un village dont la route est en terre battue, un homme âgé m’interpelle et tente de me parler en français. Il m’indique avoir vécu à Paris. Mais avoir perdu son français au cours des ans. L’échange n’est vraiment pas possible. 











J’arrive à Negotin en milieu d’après-midi. Le propriétaire m’interpelle dans la rue par mon prénom alors que je cherchais l’auberge. Avant cela la belle façade m’avait interpellé. A l’intérieur, une cour verdoyante, et des aménagements en bois et au milieu quelques tentes old-style déjà montées. Bojan me propose de choisir celle qui me convient. Il me demande si j’ai déjà mangé. Après lui avoir répondu par la négative, il vient m’apporter une soupe de haricots, une petite salade, du fromage et du pain. Adorable. Exactement ce qu’il me fallait. Petite balade dans Negotin le soir pour acheter de quoi me faire des pâtes. Mélange intéressant entre architecture communiste et quelques bâtiments de style 1900 çà et là, souvent à l’angle des rues.  






Finalement, aucun autre cycliste le soir où je dormirai au prometteur « Base camp for adventurers ». Jusque quelques chats sympathiques. Et des touristes bruyants qui ne doivent jamais avoir dormi dans une tente pour ignorer que la toile n’isole pas du bruit. Soit. 

L’endroit est par contre fourni de nombreux livres et guides de voyage sur le vélo. 

Je pose aussi quelques questions à Bojan sur ce que font les autres voyageurs qui continuent vers Istanbul. Il m’indique qu’aucun ne continue le long du Danube ou passe par Bucarest (un détour, me dit-il, ok je savais ça. Ca fait 150 bornes d’AR depuis le Danube, soit deux journées de vélo) mais qu’ils coupent plutôt à travers la Bulgarie. 

Mon plan jusqu’alors était de rejoindre Constanta, station balnéaire roumaine sur la Mer Noire avant de longer la côte bulgare. J’ai lu pas mal de témoignages sur des blogs parlant de la difficulté de rejoindre Mangalia après Constanta autrement que par une autoroute. Je sais que mon temps est compté. Je ne me sens toujours pas mieux. J’aimerais voir Georgiana à Bucarest. Beaucoup de facteurs à prendre dans l’équation. 

Je vois dans un livre qu’un cyclo-voyageur a lui aussi zappé Constanta après Bucarest et n’a rejoint la Mer Noire qu’à Varna. Oana, autre amie roumaine de Strasbourg, me dit « nothing special » quand je lui parle de Constanta par message et me dit que je trouverai aussi des chouettes coins sur la Mer Noire en Bulgarie. Sur ma carte des Euro Velo, je vois aussi qu’il y a de belles choses à voir si je coupe à travers la Bulgarie après Bucarest : les églises rupestres d’Ivanovo (Sarah m’en avait aussi parlé), et le cavalier de Madara, deux sites Patrimoine Mondial de l’Unesco. Le choix est fait. J’établi un nouveau plan de voyage. Je vais essayer de passer par Bucarest et puis de descendre au milieu de la Bulgarie jusqu’à la mer. Tant pis pour Constanta. Je pense que je gagne un jour dans l’aventure. J’annonce à Georgiana de ma venue prochaine dans 5 jours, ce qui m’amènera dans la capitale roumaine pour le week-end si tout va bien. Elle me dit que ses amis cyclistes me déconseillent de rouler en Roumanie (plein de chiens errants et de camions) mais il va bien falloir si je veux lui dire bonjour à Bucarest :) Ca fait du bien d’avoir un plan pour les prochains jours. Peut-être même que j'aurai le temps de me reposer un peu sur la riviera bulgare, de visiter la petite ville d'Edirne en Turquie. Je commence à vraiment réfléchir à la meilleure manière d'arriver à Istanbul. Beaucoup de choses peuvent encore s'intercaler mais la fin est sûre. Je veux arriver à Istanbul. Demain, c'est la Bulgarie qui va s'offrir à moi. Mais on en reparlera bientôt ! 

 

















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