
Photo : forteresse de Golubac (au bord du Danube, côté serbe)
Spoiler : Après 48 jours de vélo, 3915 km parcourus, et près d’un million de coups de pédales dans les jambes, je suis enfin arrivé à Istanbul. Je suis très content d’avoir accompli ce défi personnel pour une cause qui me tient à coeur, à savoir supporter financièrement une ONG locale reconnue qui se concentre sur l’éducation de milliers d’enfants laissés sans famille après les tremblements de terre de février dernier. Et encore plus depuis l'accueil chaleureux que j'ai reçu lors de mon passage en Turquie. J'ai récolté la somme de 1200 euros. Merci à toutes celles et tous ceux qui ont contribué. Si vous souhaitez en savoir plus sur cette cause et si vous souhaiter aussi contribuer, n’hésitez pas, il est encore temps! Mais ne traînez pas quand même : je pense faire le versement d'ici une dizaine de jours. A très vite!
Tout s'accélère de mon côté, puisque j'ai appris il y a à peine une dizaine de jours que j'allais prêter serment comme juge ce lundi 5 déjà, ce qui m'a aussi motivé à soutenir le rythme et à privilégier le vélo sur la rédaction pour dégager quelques jours pour m'imprégner d'Istanbul mais je vais essayer avec le temps qu'il me reste d'ici là d'avancer un maximum dans la finalisation du blog. Le texte qui suit a été rédigé intégralement lors du voyage, notamment à Istanbul. La suite sera rédigée de Bruxelles mais pas d'inquiétudes mes souvenirs sont encore vifs. Le voyage à vélo a ceci de particulier qu'il permet plus que tout autre d'imprimer les souvenirs. Les expériences les plus marquantes sont aussi régulièrement partagées avec les personnes, cyclistes ou non, rencontrées sur le chemin. Cela permet à la mémoire de se fixer. Et rédiger sur un clavier et sur un grand écran plutôt que sur le téléphone sera quand même plus confortable :)
Aujourd’hui, après avoir laissé derrière moi Vukovar et Ovcara, je traverse des petits villages sur la route qui longe le Danube. La route plonge 4-5 fois vers chacun de ces villages et la vallée de la rivière se jetant chaque fois dans le Danube avant de remonter à leur sortie. Ça casse bien les jambes. Je pique-nique au bord du fleuve dans un de ces villages. Je prends la mesure de l’importance du Danube en le traversant pour la première fois de mon voyage sur un grand pont un peu usé par le temps. En 1991, ce sont des chars serbes qui l’ont emprunté. Peu de traffic aux postes frontière. En Serbie, au poste frontière de Bačka Palanka, pour la première fois du voyage, je sors ma carte d’identité. Les panneaux sont désormais majoritairement en cyrillique serbe. L’assistant vocal de mon GPS Komoot ne s’en sort plus avec cette nouvelle donne. Alors qu’auparavant, j’avais droit à connaître la rue sur laquelle continuer, ce qui est utile car on peut cross-checker en repérant les panneaux des rues, désormais ce sera : continuez sur "…" Plus rien du tout :) Le début du total dépaysement. Mis à part le Liechtenstein, la Serbie avec la Roumanie et la Turquie (à l’exception d’un transit à l’aéroport d’Istanbul lors de mon trip en Iran) sont les seuls pays dans lesquels je n’ai jamais mis les pieds. Plus de data non plus sur le téléphone. Je remets ma carte suisse sur laquelle doit rester un peu d’argent. Après avoir rejoint la ville de l’autre côté de la frontière c’est une route très passante qui se présente à moi et que j’emprunterai sur une vingtaine de km avant de rejoindre un chemin plus calme le long du Danube mais qui commence par une nouvelle piste non asphaltée.



A la jonction, je demande un peu d’eau avant de m’engager dans la partie plus sauvage. Je peut directement goûter à l’accueil serbe. Le père de famille m’invite directement pour le café. Il doit être 16h et j’aimerais arriver pas trop tard à Novi Sad pour profiter de la ville dans la lumière du jour. Sa fille et son copain, qui doivent avoir 25 ans, ne parlent pas un mot d’anglais. Lui m’indique avoir vécu en Angleterre mais m’explique que la langue, en me montrant sa langue, doit se pratiquer pour se maintenir. Je crois qu’il est content de pouvoir justement parler en anglais avec moi. Parfois il tape des phrases sur Google translate pour se faire comprendre. Le temps tourne, je finis mon café et je m’apprête à partir. Lui, m’indique sur son téléphone (« custom ») que la coutume serbe veut que l’invité ne part pas tant que tout le monde n’a pas fini. LOL. Il n’a pas touché à son café, pendant tout ce temps, savourant l’opportunité de pouvoir échanger en anglais. Quand il voit que je risque quand même de repartir, il boit son café d’une traite et m’indique que la coutume est sauve et que je peux partir. Tout indique qu’il m’aurait offert le couvert et le gîte si ma route n’était pas tracée vers Novi Sad. Il m’a parlé d’un groupe d’Italiens ayant demandé à planter la tente et ayant fini par dormir dans sa maison après une attaque de moustiques. Il me parle aussi de fêtes et de BBQ au bord du fleuve en ce week-end du premier mai. Des jolies filles qui seraient là. Dommage vraiment que je doive avancer :)
La route vers Novi Sad est très agréable sur la piste cyclable au-dessus de la digue.Je peux pousser sur les pédales. Pas de vent contraire. La piste est bonne. Pas d’obstacles. Une belle lumière de fin d’après-midi. Les festivités s’annoncent. De la musique. Des odeurs de grillades. Des tentes au bord du fleuve. Progressivement de plus en plus de monde sur la piste. Ambiance très familiale. Enfants qui jouent à la balle. Promeneurs. Tout cela jusqu’au centre-ville de Novi Sad. D’habitude la ville s’annonce par une vaste étendue industrielle. Rien de tout ça ici. A peine quelques buildings communistes de la banlieue proche à traverser. La citadelle apparait au sortir du parc sur ma droite sous ses couleurs orangées de fin du jour. Même les bâtiments communistes deviennent chaleureux sous cette lumière. J’arrive à la cathédrale après avoir traversé une vaste zone de travaux en plein centre ville avant de rejoindre mon hostel. Le dortoir se remplit progressivement. On sera jusqu’à 12 à l’intérieur. Je papote avec un Russe ayant quitté son pays et qui se dit déçu de la Serbie après avoir vu des gens portant des t-shirts à l’effigie de Poutine. Je discute aussi avec un Turc d’Istanbul qui me préviens de l’enfer pour entrer à Istanbul à vélo. C’est une des premières fois où je me rends compte que ce point devra être bien préparé. Après un petit tour nocturne de la ville, je finis par manger au restaurant juste au pied de l’hostel. Sur la suggestion du serveur, je commande une Pleskavica, sorte de long burger déposé sur un bout de pain rond, accompagnée d’un verre de rouge local. Aujourd’hui j’ai dépassé la barre des 2000km et je me dis que je mérite bien de me faire plaisir.


Le lendemain, je m’accorde une matinée pour m’imprégner de la ville. J’entre dans la cathédrale catholique et dans une belle église orthodoxe. Pour la première fois, je suis frappé par la grande dévotion des visiteurs de ces églises, qui se signent presque systématiquement en s’avançant et en quittant les lieux et qui achètent des souvenirs et des bougies dans les petits magasins à l’intérieur des édifices. Je traverse un parc très agréable, puis le pont sur le Danube avant de grimper jusqu’à la cathédrale. Beaucoup de monde. Les gens prennent le soleil. Se posent. Prennent des glaces et des cafés. Je fais le tour du plateau et contemple la vue sur le fleuve. Pique-nique au parc avant de redémarrer en début d’après-midi vers Vinograd. Je passe par la tranquille ville de Skremski Karlovici, haut-lieu de la religion orthodoxe, avant de grimper 10 km sur une nationale très passante avec des pourcentages de 8 % jusqu’à une belle église orthodoxe perchée au sommet de la vallée et dont le toit vert reluisant est éblouissant à cette heure de la journée. Je redescends une bonne partie de ce que j’ai monté et continue jusqu’au village de Vinograd où je dormirai dans un nouveau concept de camping dans les vignobles (conseillé par un Warmshower de Novi Sad qui ne pouvait pas m’héberger). Aleksandra la gérante a quitté Belgrade pour acquérir une maison de vignes dans ce village avec son copain guatémaltèque (qui n’était pas là) et y vit l’été. L’hiver, elle le vit généralement au Guatemala. Soirée sympa et discussions avec ses amis autour d’une bonne bière et des restes d’un barbecue. On parle de la place du vélo dans Belgrade notamment. Un de ses amis est photographe. Il me montre une photo du principal pont de Belgrade bloqué par des vélos, ce qu’il considère comme exceptionnel dans une ville qui, m’annonce-t-il, laisse bien peu de place à la petite reine. Je décline la proposition de dormir sur le sofa à l’intérieur et je plante la tente. Je voulais tester le concept de camping dans les vignes. Grosse fête au village ce soir-là, concerts d’aboiement de chiens et réveils des coqs du voisin. Pas ma meilleure nuit en termes de repos. Mais rencontre sympa et chouette découverte de cette région viticole entre les environnements urbains de Novi Sad et Belgrade (le lendemain). Partage de bons plans sur Belgrade. Et chouettes discussions aussi sur la photo et sur le parcours de vie d’Aleksandra.

Le lendemain, le vent souffle fort. La toile qui recouvre la terrasse s’est décrochée. Je m’interroge sur la direction du vent. Mes appréhensions seront confirmées au moment de reprendre la route. J’aurai un vent de face sur quasiment tous les 60 km me séparant de Belgrade. La journée est courte en kilomètres mais avec ce puissant vent de face, chaque kilomètre me parait durer une éternité. Je croise un couple de cyclistes colombiens naviguant en sens inverse. Petite discussion express sur le bord d’une route passante. Je les envie d’avoir le vent dans le dos. Rien de spécial sur la route jusqu’à Zemoun, agréable entrée dans la zone urbaine de Belgrade au bord du Danube dans un parc très vert, après avoir traversé de pittoresques ruelles pavées lorsque ma route s’écarte de la voie principale. Un grand pont enjambant le Danube me fait face. La ville et sa citadelle se dévoile sur son flanc. Il faut trouver la bonne bretelle pour monter sur le pont. Une fois le pont traversé, je tente l’entrée dans la ville par le milieu avant de me rendre compte de la présence d’un ascenseur qui redescend sur la rive côté ville et qui est dotée d’une piste cyclable faisant le tour de la ville au pied de la citadelle. Je repiquerai plus loin vers le centre. Il est 18h, je n’ai pas fait beaucoup de km mais le vent de face et l’entrée dans Belgrade m’ont pas mal éprouvé. Je cherche un chouette point de chute pour me poser un peu avant d’atterrir à l’hostel. Mon voeu sera exaucé rapidement au son de hits rock des années 70-80 (Sultans of Swing?) et à l’odeur des grillades de poissons au bord du fleuve. Je me prends une grande pils et une portion de sardines grillés à côté des péniches en profitant de la lumière de cette fin de journée. Après avoir contourné la citadelle je bifurque vers le centre en passant par l’ancien quartier bohémien devenu un quartier touristique branché, les rues piétonnes sont revêtues de pavés et j’arrive à mon hostel. Prise de possession des lieux dans le dortoir, douche, lessive et recherche d’un magasin pour me faire ma traditionnelle portion de pâtes sauce tomate. Je rencontre beaucoup de Russes à l’auberge. Beaucoup semblent rester là pour du long terme. Les échanges en anglais sont limités. J’ai bien mérité une bonne nuit de sommeil. La découverte de Belgrade sera pour demain.

Le lendemain est gris et pluvieux. Pas plus mal pour visiter une ville. En tout cas, c'est mieux d'être en ville que de pédaler. Je me motive à mettre le nez dehors après avoir établi un petit plan des opérations. Je passe devant de long boulevards laissant une grande place aux voitures. Les trams au milieu sont rouges. Petite halte devant l’hôtel Moskva, style Belle époque. Je passe par les bâtiment officiels (Présidence, Parlement, Cour constitutionnelle). C’est imposant et vaguement impersonnel. J’atteins la belle église Saint-Marc et le parc Tasmajdan attenant. L’ancien bâtiment de la radio-télévision nationale bombardé par les forces de l’OTAN en 1999 se montre toujours éventré comme si sa façade avait été arrachée par un Caterpillar. A côté un bâtiment plus récent dans les fenêtres desquelles se reflète le clocher de l’église. Au milieu du parc, une stèle à la mémoire des enfants victimes des bombardements durant le printemps 1999. J’ai lu pas mal sur cette période. Sur l’inflexibilité de Milosevic qui refusait de céder à Rambouillet devant les exigences de la coalition qui se décida à intervenir après un massacre au Kosovo. Apparemment une condition imposée dans l’ultimatum était d’ouvrir la présence militaire des forces de l’OTAN sur le territoire serbe, ce qui était imbuvable pour Milosevic. Ce refus déclencha le bombardement qui intervint peu de temps après. L’hostilité à l’OTAN se lit à beaucoup d’endroits sur les murs de la capitale. Outre le bombardement de la radio-télévision en plein centre ville, les forces alliés ont bombardé des industries chimiques et ont aussi utilisé des bombes à l’uranium appauvri, entraînant des conséquences sur la santé des habitants pour de longues années. En sortant du parc, j’aperçois une grande publicité pour Gazprom. Je verrai plus loin sur mon chemin encore un énorme complexe gazier de la même enseigne. La Serbie, candidate à l’adhésion à l’UE depuis de nombreuses années semble vraiment à mi-chemin entre l’Europe et la Russie. La mère de Zoya, ma collègue de Namur, que je rencontrerai le lendemain m’apprendra que ceci est aussi le fruit de mariages entre monarques serbes et russes au cours de l’histoire. Au moment de quitter le parc, alors que je me rendait vers le musée Nikola Tesla, ma collègue Zoya, m’apprends qu’une tuerie a éclaté non loin de là dans son école primaire. Il y a plusieurs morts et un suspect a été arrêté. Je n’avais rien remarqué. En avançant dans la direction du musée, je me rends compte que la rue est barrée sur ma droite. Je vois des gens qui pleurent. Je me sens terriblement mal pour eux. Je vais changer mes plans et me rendre à l’église Saint-Sava de Belgrade. Cette église relativement récemment est vraiment majestueuse. Murs extérieurs blancs. Multiples coupoles vert émeraude. L’intérieur est juste incroyable. Entièrement recouvert d’or. Je n’ai jamais vu autant d’or de ma vie. Petit détour par la crypte. Je redescends et me commande un petit plat à emporter dans une cantine traditionnelle avant de repartir vers le musée. Le groupe de 14.00 est plein. Il va me falloir tuer le temps dans les environs. Sans le savoir je passe devant la rue de l’école où s’est passé le drame. Elle est bouclée par la police. Des médias song présents. Les mines sont graves. Je reprends à l’opposé. Et je trouve un café tranquille. À un moment un homme aux yeux rougis jette son téléphone sur un siège. Je lis toute la détresse dans son regard. C’est très dur à voir. Surtout quand il n’y rien à dire, rien à faire.











L’heure du rendez-vous au musée arrive enfin. Le musée est donc consacré à Nikola Tesla, génial inventeur ou plutôt « découvreur » comme il préférait se décrire, d’origine serbe mais né dans la Croatie alors sous le régime austro-hongrois. Les deux pays se l’approprient. Pionnier du courant alternatif. Il impressionna aussi la galerie en maintenant un oeuf debout par le fait de la force centrifuge. Et qui, une fois aux États-Unis, illumina de son talent l’Exposition universelle de Chicago en 1893 et fit jaillir l’électricité des chutes du Niagara en y développant les turbines d’une énorme centrale hydroélectrique. Le musée est petit. Ses cendres se trouvent dans une urne dans le musée. Présentation intéressantes de plusieurs expériences.

Enfin de journée, je monte dans un tram rouge, comme à Zagreb, digne héritier de la période yougoslave pour me rendre à la forteresse que j’avais aperçu la veille depuis les rives du Danube. J’aime le style de ces trams, notamment le design des sièges à l’intérieur. La vue de la citadelle est plongeante sur le méandre du fleuve et sur l’île très verte au milieu. En été, un pont temporaire est érigé. Des vestiges ottomans attirent pour la première fois mon attention dans l’enceinte de la citadelle. Une fontaine de style ottoman, rénovée avec les matériaux d’époque, au bord du chemin d’accès, et un mausolée au milieu du parc. J’atteins la statue du « Vainqueur » dominant le Danube, érigée en l’honneur de la victoire des Serbes lors de la Première guerre mondiale. Je ressors par le vaste mur d’enceinte côté ville. Je reçois un message de la maman de Zoya, qui souhaite me rencontrer : on se fixe un rendez-vous au glacier que je voulais tester. Au même moment, je suis content d’avoir Max au téléphone. On papote. En ressortant du parc, je tombe sur un Monument à la Reconnaissance à la France. Au cours de la Première guerre mondiale, déclenchée par l’assassinat de l’archiduc d’Autriche-Hongrie à Sarajevo, la Serbie faisait partie de l’alliance avec la France.La glace fut excellente. Peut-être même une des meilleures que j’ai mangées dans ma vie. Diane la maman de Zoya arrive en taxi. Elle m’a reconnu direct, m’avoue-t-elle. Je suis habillé en touriste sportif. Elle est accompagné de Filip, le frère de Zoya. On se rend ensemble dans un café traditionnel proche de la cathédrale Saint-Michel, dans laquelle je ne suis pas entré en raison de le messe. La maman de Zoya me dira que Zoya s’y est mariée. On discute pas mal, de mon voyage, de la vie à Belgrade, du métier d’avocat et de juge qui m’attend à mon retour. On parle aussi de mes premières impressions de la Serbie, de Belgrade. De ce que devaient être la période des bombardements de 1999. De la tuerie ayant éclaté le matin. Du harcèlement à l’école. De la circulation des armes dans ce pays. On se quitte au point de rendez-vous des Belgradois, au pied du cheval sur la place de la République.

Le lendemain, le plan est d’essayer d’arriver jusqu’au camping de Kalinovac que j’ai repéré dans une brochure de logements bike friendly en Serbie. L’enjeu c’est d’arriver à temps pour prendre au minimum le dernier ferry qui traverse le Danube, à 19.30. Cela me fait quand même une belle journée de 120km jusque là. Pas vraiment de difficulté sur la carte. Pas de grosse montée. Mais rien n’est dit de la qualité de la route. Je sors de Belgrade par là où j’y étais entrer et je traverse le vaste pont sur le Danube au milieu des voitures et des camions. Après le pont, le tracé officiel de l’Euro Vélo m’amène sur un petit chemin proche des maisons avant de monter sur la digue. A cet endroit deux chiens aboient, sortent par la porte ouverte du jardin et commencent à me chasser. En Albanie, ma stratégie consistait à crier un « oh » franc et à leur montrer que j’étais le patron et à vite repartir. Manifestement cette stratégie ne marche pas cette fois. Je pousse tant et plus sur les pédales. Mon compteur affiche 26 km/h et impossible de faire plus sur ce revêtement de terre au milieu de l’herbe. J’entends le propriétaire des chiens dire « French French». Peut-être que ma stratégie est beaucoup usitée par les Français. Je ne sais pas. Ou que beaucoup de Français empruntent cette Euro Route. Je ne sais pas. Les chiens regardent mes mollets, les crocs acérés et n’ont aucune envie de s’arrêter. Mon coeur bat la chamade. Finalement les chiens se lassent. Ouf. Je vais devoir un peu affiner ma méthode car on me promet beaucoup de chiens errants particulièrement en Roumanie. Je ferai ca directement à la prochaine pause. Je tombe sur un blog qui donne pas mal de conseils. Apparemment, il faut parler tout doucement pour commencer. Peu importe la langue. Le ton calme importe. Les chiens sentent le stress. Rester calme. Descendre du vélo et avancer en le poussant sur quelques dizaines de mètres. Éventuellement se pencher en mimant le fait de prendre un pierre. C’est fou comme cette dernière technique se révélera effective! Je garde le gros « oh » (qui peut attirer l’attention d’un éventuel proprio) et la cavale en dernière option.
Je longe le Danube qui sur ses bords a donné naissance à de nombreux marécages. De nombreux oiseaux décollent à mon passage. Cormorans. Hérons cendrés.
De façon générale, la journée fut rendue plus compliquée que prévu par l’état de la piste. J’ai notamment dû retourner sur la route principale après avoir été bloqué le long de la rivière. Traverser la route pour causes de risques d’épines :) Une nouvelle fois rebrousser chemin à cause d’un troupeau de vaches bloquant tout passage sur la la digue.
La route m’amène devant une énorme usine Gazprom. Photos interdites. Et à proximité de Smederevo. On m’avait parlé d’une belle citadelle mais 7,5km de détour one-way, j’hésite mais je ne pense pas pouvoir me le permettre si je veux attraper le dernier ferry. L’heure tourne et je dois pousser tant et plus pour rester dans le timing. J’ai dû perdre du temps avec tous ces détours imprévus. Je devrai encore m’arrêter plusieurs fois en route à cause de chiens.
Ma piste rejoint une grande route en ligne droite qui file droit dans la forêt. On me frôle à des vitesses rapides. La moindre erreur de direction se paie cash. Enfin après avoir traversé un pont sur un canal dérivant du Danube, je vois un panneau indiquant le port de ferry de Banatska Palanka à 4km. Le soleil décline. Sauf contre-temps j’attraperai le ferry. Je repère des endroits de camping sauvage au cas où. La lumière dorée enjolive les lieux. Me voilà au ferry. Il est 19.26. 500 dinars serbes et me voilà sur le bateau. Le Danube à cet endroit ressemble plus à un lac qu’à un fleuve. La traversé prendra une vingtaine de minutes. Le coucher de soleil est magnifique depuis le ferry (en fait un bateau accolé à un imposant plateau métallique). Juste une 4x4 et deux Polonais de mon âge en repérages pour organiser des voyages d’aventures en voiture avec des véhicules à problèmes. Pas trop ma tasse de thé. J’arrive sur l’autre bord à Ram (toujours en Serbie) alors que le soleil du jour vit vraiment ses derniers instants. Encore une petite dizaine de km jusqu’au camping. Je finirai dans le noir. L’avantage des horaires du ferry c’est que je ne croiserai quasiment aucune voiture sur ce tronçon. Petites courses au village de Zatonje avant de descendre au camping.
Il est passé 21.00 quand j’arrive au camping. La faible lumière des lampadaires le long du Danube éclaire à peine la descente vers le camping. Le tenancier vient à ma rencontre et me serre la main chaleureusement. Je repère une tente et un vélo au pied des arbres. Le patron me dit : « British cyclist ». Il me passe son fils au téléphone qui me demande en anglais si tout va bien. Chouettes échanges avec Sarah, la « British cyclist » qui passe son temps de retraitée, à voyager à vélo. De temps en temps elle organise des voyages à vélo avec des jeunes aussi. Une bel’e personne. C’est intéressant car Sarah a commencé de la Mer Noire et moi vient dans l’autre direction. On échange pas mal de bons tuyaux et nos numéros. On échangera quasiment quotidiennement dans les jours qui suivirent. Sur les parcours mais aussi sur la façon dont se sont déroulées nos journées respectives.













La position est il est vrai tout à fait stratégique. Sentinelle gardant l’entrée de cet énorme fleuve traversant l’Europe d’Ouest en Est. À cet endroit du Danube, l’autre rive est bordée par la Roumanie. La frontière était aussi celle du rideau de fer puisque la Serbie, à l’époque de la Yougoslavie, faisait partie des pays non alignés. Je me demande combien de personnes ont tenté de traverser le fleuve à l’époque, à quel point les frontières étaient sécurisées à l’époque. Ce genre de questions viennent facilement à l’esprit quand on traverse des paysages à vélo.
J’ai pris le pass bleu qui permet d’accéder à presque toutes les tours du château qui sont accessibles. Je dois signer une décharge de responsabilité. Je ne sais pas trop à quel niveau de difficulté m’attendre. La chose a l’air d’être prise au sérieux. Je m’engage dans l’intérieur du château et gravit l’une après l’autre ses tours imposantes reliées par un tour de ronde. Elles offrent une vue vertigineuse sur le Danube. La descente s’avère quand même fort technique par endroits avec peu de marches, une très forte inclinaison et pas de sécurité d’un des deux côtés. Je m’aide de mes mains. D’autant que j’ai gardé mes chaussures de vélo après que la caissière m’a confirmé qu’elles feraient très bien l’affaire. En face, côté roumain, j’aperçois également une fortification mais bien moins imposante. A un moment je regarde mon téléphone et je me dis que le temps tourne quand même très vite. Il est déjà presque 16.00 (je me rendrai compte plus tard que mon téléphone s’était réglé sur le fuseau horaire roumain +1) et j’ai encore une petite cinquantaine de km à rouler avec pas mal de tunnels pas éclairés et de montées/descentes jusqu’à Donji Milanovac où je me suis réservé une chambre chez l’habitant.





J’avais découvert le matin que j’allais dormir chez la dame où Sarah était passée deux jours plus tôt. Elle m’avait raconté son histoire et m’avait parlé d’un phénomène. Le ciel s’obscurcit. Et je me dis qu’il faut mettre le turbo. La pluie commence à tomber. Les rochers sont de couleur ocre clair sur le versant roumain. Cela donne un joli contraste avec le gris foncé du ciel. La lumière revient progressivement. Je traverse quelques affluents du Danube et j’attaque une dernière grosse côte avant d’apercevoir le village. Petites courses. Dernières grosse monté jusqu’à la maison. La dame est effectivement un personnage. Du genre à faire des blagues vraiment gore où on ne sait pas vraiment si elle rigole ou pas. Je lui tends ma carte d’identité puis me fais une sorte de blague ou elle me dit que si on me la cale dans la bouche on connaîtra mon identité si je meurs. Humour serbe me dit-elle. Petite incompréhension elle me dit qu’elle veut m’offrir un verre mais que je n’ai pas le temps de prendre ma douche car elle doit partir. Elle me montre la chambre à l’étage et me dit je reviens vers vous. 15 longues minutes passent et toujours rien. Je descends encore dans mes vêtements de vélo et elle me sert un verre d’une liqueur faites de fruits et fleurs de son jardin attenant à la maison. Ca se laisse boire volontiers. Je peux enfin prendre ma douche et je me prépare un plat de pâtes sur le balcon. Le soir j’hésite à proposer à André, l’Italien croisé à la frontière slovène, dont le chemin par le plus grand des hasards recroise le mien à Donji mais il est tard, je me sens vraiment faible et on ne dort pas vraiment dans le même coin. On se dit qu’on essaiera de se voir le matin.

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