Les Alpes italiennes et les Dolomites, quelques classiques du Giro d’Italia
Ce petit échange me fait quand même réaliser qu’entre les Alpes suisses et les Dolomites, j’aurai quand même un fameux morceau à me farcir avec près de 4000m de dénivelé positif en trois jours jusque Bolzano et l’entrée officielle dans les Dolomites. Un col par jour.
Je reprends le chemin que j’avais fait à pied la veille en fin de journée en poussant le vélo, jusqu’au village de Stazzone. Je me dis que ça a dû être bien long la veille car même à vélo ca ne passe pas si vite que ça.
D’emblée, ça grimpe sec dans le village. Quelques virages en épingle ensuite. Quand la route rejoint une autre plus large, il commence à y avoir pas mal de trafic (bus, poids lourd inclus) mais la vue plongeante sur la vallée compense largement.
L’entrée dans le village d’Aprica n’est pas encore le sommet. Encore un beau double virage en épingle et une longue ligne droite. Pas mécontent d’arriver. Je ne sais pas si j’aurais pu enchainer la veille avec ce col si le pneu n’avait pas fait des siennes car il fallait quand même un peu de jus dans les jambes pour pousser jusqu’en haut.
Le village d’Aprica en tant que tel a l’air d’une station de sport d’hiver où la neige a fondu et ne recouvre plus ce qui devrait l’être. Petite pause pique-nique néanmoins et changement de vêtements impérieux avant d’entamer la descente vers Edolo. La vallée est magnifique dans la descente. Les villages se succèdent.
Je pensais peut-être utiliser la tente pour la première fois au camping mais trop tard : je l’aperçois sur la butte d’en haut. Je ne remonterai pas derrière moi. Je vais m’arrêter à Edolo et reprendre des forces avant de faire le point et d’éventuellement continuer sur le chemin initialement prévu pour le lendemain. Les jambes sont lourdes mais il n’est pas encore tard et des options logement sont apparemment disponibles plus haut. Je quitte le village par la nationale sur laquelle je suis vite confronté à un trafic incessant. Les voitures et camions avec des montées à 6-8 % c’est mes petites alvéoles pulmonaires grandes ouvertes par l’effort qui en prennent un coup. J’aurais pu prendre une route pour vélo mais elle est de l’autre côté de la rivière. Ça attendra le village d’Incudine où une jonction est possible. Ce chemin pour vélo est super sauf qu’il alterne les montées et les descentes à m’en couper les jambes. Une dernière grosse côte m’amène au centre du village avec une vue splendide sur la montagne enneigée bercée par la lumière de cette fin d’après-midi. Un coureur m’a pris en photo et nous avons engagé la conversation sur les itinéraires vélo du coin, Komoot à l’appui, dans un mix savoureux d’italien, d’espagnol et d’anglais. Quand je lui ai dit que je cherchais un endroit où dormir, il était si enthousiaste à propos de l’Auberge d’Il Ponte où lui aussi mangerait ce soir qu’une minute plus tard je téléphonais pour me réserver un lit et que trois minutes plus tard je m’y enregistrais.
Incroyable ambiance italienne dans cette pension familiale très bien tenue. En me perdant dans les escaliers de l’établissement, j’espérais qu’une seule chose : avoir la même vue sur la montagne que celle que j’avais quelques minutes plus tôt. Mon voeu s’est accompli. Quelle merveille!
Le dîner est rapidement prêt. Tout est très bon. Linguine ai fungi. Bifsteck. Et tarta de fragola.
Le lendemain, après le petit déjeuner, le temps devient un peu gris. La route monte légèrement en faux plat ascendant, le long de la rivière en traversant les villages jusqu’au pied du col du Tonale, à Ponte di Legno, d’où partent également des télécabines vers le col.
Alors que je m’élançais sur la ligne droite de la grand route me conduisant aux premiers virages, j’aperçois un marché sur ma gauche. Demi-tour express. Sur place, je tombe sur un stand de fromages et saucissons. Je craque sur un Gorgonzola bien crémeux et je demande à la gentille vendeuse si on peut couper les saucissons en deux. Seulement à la pièce ? Elle a alors accepté de me vendre le plus léger d’entre eux après avoir vérifié par deux fois celui qui serait l’heureux élu. Je complète tout ça par un bon pain et je m’élance dans l’ascension du col.
La face des montagnes est visible dès les premiers lacets. Le trafic est limité sur cette route par rapport à l’ascension de l’Aprica hier. Ce n’est pas pour me déplaire. À un certain moment je revois les télécabines qui se succèdent suspendues à leur fil au dessus du vide. La plupart sont vides. Je m’interroge sur les conditions d’enneigement là-haut.

Avant même d’arriver chez elle, je savais que j’y resterais deux nuits (elle m’avait confirmé que cela pourrait s’arranger), la météo annoncée pour le lendemain étant franchement mauvaise et je me voyais mal monter au col du Mendola sous la neige... Anna est une fille engagée pour l’environnement au sein de la vallée de Vale di Sole et travaille en collaboration avec un musée dédié à la protection des abeilles et qui organise beaucoup d’activités de sensibilisation notamment avec les écoles. Elle déborde d’énergie et est très accueillante. Je découvre aussi la présence de deux chats, Inca, the white one et Petola, the big one. Le lendemain matin les sapins quelques dizaines de mètres plus haut sont recouverts de neige fraiche. Les prédictions météo étaient correctes. Je n’ose pas imaginer à quoi doit ressembler la route du col (700m plus haut). On discute pas mal durant le lunch, notamment de ce qui fait l’actualité de la vallée, l’attaque mortelle d’un coureur par un ours survenue quelques jours plus tôt sur les hauteurs de Caldes, à quelques kilomètres à peine de là. Les funérailles ont eu lieu aujourd’hui même. Les habitants ont peur de retourner marcher dans la forêt. Un vrai débat est ouvert au sujet de la réintroduction de l’ours dans cette région du Trentino où visiblement l’ours s’est implanté plus que ce qui était envisagé au départ… Le soir, devant un risotto à la courge butternut, on discute aussi des spécificités de la région bilingue du Haut-Adige, dont les habitants ont été rattachés à l’Italie après la première guerre mondiale et se sont vu imposer de parler l’italien sous Mussolini.
Une certaine appréhension de l’ours m’habitera le lendemain matin lorsque la piste cyclable que j’emprunte pour descendre la vallée croise le chemin forestier qu’a dû prendre le coureur pour monter vers le Monte Peller ou en descendre.
La route est belle et descendante jusqu’à l’imposant viaduc de Cis qui fait front à un autre viaduc pour les trains. A partir de là, la route commence à s’élever. Elle serpente entre de nombreux vergers plein de pommiers en fleurs jusqu’au pied du col de Mendola, où je me commande un sandwich au speck et une tarte de ricotta tout en profitant de la vue.
Les montagnes des Dolomites se dessinent à l’horizon.
Les champs de pommiers se succèdent à perte de vue.
Komoot m’envoie dans une cuvette, ce qui m’oblige à pousser le vélo sur quelques centaines de mètres sur une inclinaison de 25 %. Je peste. Un détour parfaitement inutile. La crampe n’est pas loin.
J’entame enfin la montée officielle du col de Mendola, d’abord sur la route puis sur une piste cyclable toute neuve très agréable car suivant son propre chemin jusqu’au col, mais très pentue quand même par moment surtout sur la fin.

Je descends une route abrupte dans la forêt jusqu’à Appiano/Eppan où je serai logé ce soir chez les parents d’une autre Anna (d’origine autrichienne ici) qui est en voyage à vélo en Ethiopie pour le moment. Martin, le père, me cuisine des bonnes pâtes carbonara, façon traditionnelle italienne avec de la pancetta et le jaune d’oeuf et on discute notamment de l’usage des langues dans cette région du Sud-Tyrol ou Haut-Adige (selon le point de vue). Il était intéressé de connaître la situation en Belgique pour comparer un peu. Très intéressant. Nous étions tous deux d’accord pour vanter les mérites du bilinguisme. On discute aussi de mon voyage, des itinéraires possibles (continuer vers l’Autriche, plus plat mais me ferait zapper le plus belle partie des Dolomites?) mais aussi de son métier de guide touristique, qui se concentre principalement sur des touristes anglophones en Suisse mais qui l’a amené par le passé à organiser des tours à Berlin-Est avec pas mal d’anecdotes à la clé.
Après une bonne nuit de sommeil, je monte prendre le petit déjeuner, cette fois, son épouse, Christine, est là aussi. Ambiance très détendue et très belle table du petit déjeuner. On joue à ce jeu de Pâques à frapper un oeuf contre un autre des deux bouts pour voir lequel est le plus solide. On discute aussi du voyage de leur fille, Anna. Notamment de sa conception des rencontres faites lors de ce type de voyage où, d’après elle, chaque personne rencontrée montre toujours un bon côté d’elle-même. Je suis assez d’accord en tout cas pour autant que les gens rencontrés connaissent projet. En partant, Christine redescend et m’offre un petit paquet de « baci », spécialité chocolatée locale tandis que Martin m’accompagne gentiment jusqu’à la piste cyclable et me garde même mon vélo le temps des courses au village.
Grosse descente jusque Bolzano sur une piste cyclable agréable et très fréquentée surtout dans le sens opposé en ce samedi. À Bolzano, visite express de la ville, avec notamment la Plaza de la Vittoria et son monument aux héros de la guerre 14-18, vestige de l’époque nazie. L’intérieur de la ville est bondé de monde. Jour de marché oblige. Belles arcades dans la rue centrale.
Je reprends la piste cyclable plus loin. Apparemment, la route du jour en fond de vallée suivra plus ou moins le tracé de l’autoroute au-desssus (bruit et odeurs de diesel) avec de temps en temps une accalmie quand la route emprunte un tunnel. D’ailleurs, en fait de tunnels, la piste cyclable n’est pas en reste. Il semble s’agir d’une ancienne voie de chemin de fer reconvertie façon « Ravel ».
Faux plat ascendant (je remonte la rivière jusqu’aux alentours de Bruneck/Brunico). Pause pique-nique à mi-chemin dans la belle ville de Klausen/Chiusa (c’est marrant comme les noms de villes sont traduits ça me rappelle un peu Mons/Bergen sur ce coup-là).
Puis pause goûter à Brixen/Bressaone où je prends un Apelstrudel et un expresso sur la place principale où s’étend un grand marché.
Grosse côte quelques kilomètres en sortant de la ville. La piste cyclable suit à présent une ligne de train et m’emmène sur un parcours valloné jusqu’à ma destination, quelques kilomètres avant Brunico/Bruneck, au camping Wildberg jouxtant le village de St Lorenzen/San Lorenzo. Une journée longue distance (92km), ce que je n’avais pas fait depuis longtemps avec tous les cols empruntés dans les Alpes italiennes qui ont naturellement ralenti ma progression kilométrique.
Camping familial bien tenu. Je file faire des courses express au village avant la fermeture du magasin (demain, c’est dimanche) et je plante la tente pour la première fois du voyage. Rencontre avec un retraité espagnol qui roule depuis Barcelone depuis trois semaines et qui se donne le temps qu’il faudra pour remonter jusqu’au Cap Nord. Petite papote avec un groupe d’Allemands. Qui ont eux aussi beaucoup lu sur l’attaque de l’ours dans les journaux allemands.
Je ne sais pas dire ce qui m’a réveillé ce matin : le chant des coqs, la cloche de l’église ou le premier train sur la ligne de la vallée. En tout cas, j’ai bien dormi et longtemps malgré les températures négatives annoncées pour la nuit. Ca m’a fait du bien. Le temps de tout ranger et de prendre un bon petit déjeuner, il était déjà 11.00 ce matin quand je larguais les amarres.
La journée est divisée en deux parties, une ascension au lac de Misurina et une descente jusqu’à la vallée d’Auronzo où je dormirai dans le village de Lozzo de Cadore.
Au passage, émerveillement devant le lac de Toblach/Dobbiaco (qui me rappelle le Lago di Braies sur l’Alta via 1 l’été dernier, peut-être un peu moins sauvage mais très beau aussi) et puis, quelques kilomètres plus loin devant les Tre Cime, les trois cimes, véritables icônes des Dolomites dont je scrutais l’apparition sur ma gauche et devant lesquelles je reprends des forces pour avaler les pourcentages vers Misurina. J’ai zappé la piste cyclable encore couverte de neige pour la route. Du coup il y a beaucoup de trafic sur cette route touristique en ce dimanche en tout cas tant que je reste sur l’itinéraire vers Cortina d’Ampezzo, beaucoup moins après la jonction vers Auronzo.

La neige se fait de plus en plus présente sur les côtés de la route après la jonction.

C’est à bout de souffle et dans le froid que j’attaque la dernière ligne droite qui, après le dernier virage, mène au lac de Misurina. Je pense apercevoir l’autre face des Tre Cime depuis là-haut.
Et puis le lac surgit. Quelle lumière sur ce grand point d’eau recouvert de neige. Les montagnes en arrière plan. Un émerveillement!
Je me rappelle que c’est sur cette route qu’Eddy Merckx fut affublé pour la première fois du surnom de « Cannibale ». Initialement, j’aurais voulu monter jusqu’au refuge d’Auronzo comme Eddy mais d’après ce que j’avais lu je pensais que la route était encore bloquée par la neige. Je vois des voitures qui tournent mais je ne sais pas si elles peuvent continuer jusqu’au sommet. Vu l’effort à consentir (7km en plus à monter, dont 4 à 12 % de moyenne avec des passages à 19 %), je ne peux plus me le permettre en cette fin d’après-midi. Je dois épargner mes jambes. Ce sera pour une autre fois (éventuellement). J’entame la descente de plus de 30 km vers la vallée d’Auronzo.
Des pics enneigés aux formes pointues et aux stries si caractéristiques des Dolomites apparaissent à chaque virage entre les sapins sous une superbe lumière. Je me dis que cette journée a été une des plus dures mais aussi une des plus belles du voyage. J’ai mal à la nuque tellement j’ai levé la tête dans tous le sens pour admirer ces montagnes majestueuses.
J’arrive enfin à Lozzo où je me commande une pizza diabolo dans le restaurant qui fait aussi office de Bnb.

Comme j’avais fait des emplettes en chemin au pied de la descente du col dans un magasin de produits locaux sans savoir ce que je trouverais à l’arrivée, je complète tout cela par une assiette de pâtes ai « Sugo di Speck e Finferli » dans ma chambre. Pas envie de trimballer tout cela demain. Encore une dernière grosse journée de montagne dans les Dolomites demain jusque Tolmezzo. Ma domani e un altro giorno, comme on dit ici.
Commentaires
Enregistrer un commentaire